23/06/2010
Le poème de la semaine
Guillaume Apollinaire
J'ai cueilli ce brin de bruyère
L'automne est morte souviens-t'en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps Brin de bruyère
Et souviens-toi que je t'attends
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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09/06/2010
Le poème de la semaine
Henri de Régnier
Un petit roseau m'a suffi
pour faire frémir l'herbe haute
et tout le pré
et les deux saules
et le ruisseau qui chante aussi ;
un petit roseau m'a suffi
à faire chanter la forêt.
Ceux qui passent l'ont entendu
au fond du soir, en leurs pensées
dans le silence et dans le vent,
clair ou perdu,
proche ou lointain...
Ceux qui passent en leurs pensées
en écoutant, au fond d'eux-mêmes
l'entendront encore et l'entendent
toujours qui chante.
Il m'a suffi
de ce petit roseau cueilli
à la fontaine où vint l'Amour
mirer, un jour,
sa face grave
et qui pleurait,
pour faire pleurer ceux qui passent
et trembler l'herbe et frémir l'eau;
et j'ai du souffle d'un roseau
fait chanter toute la forêt.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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02/06/2010
Le poème de la semaine
Paul Claudel
Il est une conception dans la joie, je le veux,
il est une vision dans le rire.
Mais ce mélange de béatitude et d'amertume
que comporte l'acte de création,
pour que tu le comprennes, ami,
à cette heure où s'ouvre une sombre saison,
je t'expliquerai la tristesse de l'eau.
Du ciel choit ou de la paupière déborde
une larme identique.
Ne pense point de ta mélancolie accuser la nuée,
ni ce voile de l'averse obscure.
Ferme les yeux, écoute!
La pluie tombe.
Ni la monotonie de bruit assidu
ne suffit à l'explication.
C'est l'ennui d'un deuil
qui porte en lui-même sa cause,
c'est l'embesognement de l'amour,
c'est la peine dans le travail.
Les cieux pleurent sur la terre qu'ils fécodent.
Et ce n'est point surtout l'automne
et la chute future du fruit
dont elles nourrissent la graine
qui tire ces larmes de la nue hivernale.
La douleur est l'été
et dans la fleur de la vie
l'épanouissement de la mort.
Au moment que s'achève cette heure
qui précède Midi,
comme je descends dans ce vallon
qu'emplit la rumeur de fontaines diverses,
je m'arrête ravi par le chagrin.
Que ces eaux sont copieuses!
et si les larmes comme le sang ont en nous
une source perpétuelle,
l'oreille à ce choeur liquide
de voix abondantes ou grêles,
qu'il est rafraîchissant d'y assortir
toutes les nuances de sa peine!
Il n'est passion qui ne puisse
vous emprunter ses larmes, fontaines!
et bien qu'à la mienne
suffise l'éclat de cette goutte unique
qui de très haut dans la vasque
s'abat sur l'image de la lune,
je n'aurai pas en vain pour maints après-midi
appris à connaître ta retraite,
val chagrin.
Me voici dans la plaine.
Au seuil de cette cabane où,
dans l'obscurité intérieure,
luit le cierge allumé
pour quelque fête rustique,
un homme assis tient dans sa main
une cymbale poussiéreuse.
Il pleut immensément,
et j'entends seul,
au milieu de la solitude mouillée,
un cri d'oie.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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11/05/2010
Le poème de la semaine
Louis Aragon
Il avait tout à coup cédé
Le long hiver interminable
Et la douleur
Et la douleur dans tout ce printemps adorable
Humide et lourd
Et la douleur qui porte sous ses yeux
Les précoces lilas de mars
La douleur qui marchait sourdement dans la rue
Aurait-t-elle après tout remarqué le printemps
N’était que tant de fleurs escortaient la douleur
Le long l’interminable hiver de la douleur
Qui marchait
Qui marchait sur le bitume bleu
Et c’est alors que j’ai vu pleurer Jeannette
On croyait cependant que dans le fond du verre
Tout le breuvage bu pour amer qu’il parût
N’était pas plus amer que l’épreuve ancienne
Et le sang tant de fois versé des jeunes gens
On croyait cependant après la guerre noire
A tout jamais fait le tour des larmes
Et c’est alors que j’ai vu pleurer Jeannette
Tout en haut du Père-La-Chaise
Où quand ils n’eurent plus derrière eux que ce mur
Chantèrent-ils La Marseillaise
Comme ceux que nos yeux connurent
Où noirs de poudre et de colère
Ils s’arrêtèrent pour mourir les fédérés
Tout en haut du Père-La-Chaise
Il y avait tant de roses rouges
Qu’on perdait mémoire du sang
Et c’est alors que j’ai vu pleurer Jeannette
La tribune de drap grenat
Dans l’absence des feuilles d’arbres
La tribune voyait passer les derniers traînards
Des enfants de vieilles femmes fatiguées
La tribune dans le soleil de cette fin d’après-midi
La tribune dans ce beau jour encore étonné de lui-même
Et la fosse ouverte semblait une aventure contredite
Et c’est alors que je vis pleurer Jeannette
Oh nous avons tant de fois piétiné cette allée
Tant de fois en passant salué cette tombe
Et naturellement levé nos yeux distraits
Vers les maisons voisines
Vers cet immeuble neuf où la vie continue
Au-delà du mur vert de lierre
Qui ressemble à l’oubli plus qu’à la mémoire
Oh tant de fois
Tant de fois nous avons salué
Ceux qui ne sont plus que les mots
D’une chanson mécanique
Et c’est ici pourtant que j’ai vu pleurer Jeannette
Il devait y avoir un deuil plus grand
Un deuil sans aucune mesure
Ni dans ces lieux
Accoutumés aux sombres pensées des passants
Soudain s’est déchiré le cœur
S’est déchirée l’accoutumance
Et le courage et la résolution prise
De regarder quoiqu’il advienne
L’avenir avec ces grands yeux bleus
De l’optimisme et du bonheur
Soudain s’est déchiré quelque chose
Que je sens avec surprise en moi
Comme une lointaine marée
Et c’est alors que je vis pleurer Jeannette
Toute la famille noire était là qui barrait le chemin
Descendant dans un extraordinaire silence
Qui barrait le chemin du monde machinal
Une famille noire et calme et raisonnable
Et qui savait si bien épargner les sanglots
Et rendait sagement la poignée de main
Sans gémir
La poignée de main que l’on donne
A défaut de dire les mots nuls
A la famille noire
Et c’est alors que j’ai vu
Et c’est alors que j’ai vu
amily: 'Trebuchet MS'; font-size: small;">Dans le printemps funèbre et tendre
Et la lumière pâle et fraîchement ouverte
Cette terre et les fleurs
Et les fleurs qui couvraient tout autour
Tant de tombeaux abandonnés
Avec la seule gloire et le nom des héros
D’or gravé dans la pierre
Et les fleurs dépassant le territoire assigné
A la mémoire d’un seul mort
C’est alors que j’ai vu
Que j’ai vu
Et c’est alors que je vis pleurer Jeannette
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
23:59 Écrit par Claude Amstutz dans Louis Aragon, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
05/05/2010
Le poème de la semaine
Jean-Michel Maulpoix
Compose avec ce bleu.
Cette histoire t'appartient.
Tu ne pourras jamais te défaire de tout le vague
qui s'accumule en toi:
tu t'y emploieras, c'est assez.
Dresse-toi sur tes faiblesses
autant que sur tes forces:
ne résiste pas à celui que tu es.
Sache reconnaître combien le ciel est pauvre
tandis que la terre mélange la misère à la beauté.
Dans les yeux de tes semblables,
l'infini n'est jamais monotone.
Tes limites sont certaines:
fais en sorte qu'elles soient vraiment tiennes.
Ne fais pas de l'oubli un mauvais usage.
Garde en réserve de l'espérance
pour les heures de disette:
il te faudra quelque jour rendre des comptes.
Ne rechigne pas à la dépense.
Quand tu ne lui arracherais que des loques,
il te faut écrire
comme si tu devais liquider la mer.
Les mots sont tout ce qu'il te reste:
lance-toi à l'assaut de ce bleu.
Tu dois courir encore derrière la mer.
Il t'appartient d'en modifier la teinte,
comme de recolorer de temps en temps le ciel,
et de rhabiller ses fantômes
avec des vêtements neufs.
Pour se perpétuer,
l'invisible a besoin de figures.
L'infini est avide de formes.
Il ne prend corps que sur ses bords
où se conjoignent le large et le rivage,
là où se noie de ton poème
le beau regard exact et bleu:
la mer
est le grand encrier indestructible.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Jean-Michel Maulpoix, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
28/04/2010
Le poème de la semaine
Charles Péguy
Nous ne demandons pas que le grain sous la meule
Soit jamais replacé dans le coeur de l'épi,
Nous ne demandons pas que l'âme errante et seule
Soit jamais reposée en un jardin fleuri.
Nous ne demandons pas que la grappe écrasée
Soit jamais replacée au fronton de la treille,
Et que le lourd frelon et que la jeune abeille
Y reviennent jamais se gorger de rosée.
Nous ne demandons pas que la rose vermeille
Soit jamais replacée aux cerceaux du rosier,
Et que le paneton et la lourde corbeille
Retourne vers le fleuve et redevienne osier.
Nous ne demandons pas que cette page écrite
Soit jamais effacée au livre de mémoire,
Et que le lourd soupçon et que la jeune histoire
Vienne remémorer cette peine prescrite.
Nous ne demandons pas que la tige ployée
Soit jamais redressée au livre de nature,
Et que le lourd bourgeon et la jeune nervure
Perce jamais l'écorce et soit redéployée.
Nous ne demandons pas que le rameau broyé
Reverdisse jamais au livre de la grâce,
Et que le lourd surgeon et que la jeune race
Rejaillisse jamais de l'arbre fourvoyé.
Nous ne demandons pas que la banche effeuillée
Se tourne jamais plus vers un jeune printemps,
Et que la lourde sève et que le jeune temps
Sauve une cime au moins dans la forêt noyée.
Nous ne demandons pas que le pli de la nappe
Soit effacé devant que revienne le maître,
Et que votre servante et qu'un malheureux être
Soient libérés jamais de cette lourde chape.
Nous ne demandons pas que cette auguste table
Soit jamais resserve, à moins que pour un Dieu,
Mais nous n'espérons pas que le grand connétable
Chauffe deux fois ses mains vers un si maigre feu.
Nous ne demandons pas qu'une âme fourvoyée
Soit jamais replacée au chemin du bonheur,
O reine il nous suffit d'avoir gardé l'honneur
Et nous ne voulons pas qu'une aide apitoyée
Nous remette jamais au chemin de plaisance,
Et nous ne voulons pas qu'une amour soudoyée
Nous remette jamais au chemin d'allégeance,
O seul gouvernement 'une âme guerroyée,
Régente de la mer et de l'illustre port
Nous ne demandons rien dans ces amendements
Reine que de garder sous vos commandements
Une fidélité plus forte que la mort.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
06:18 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
21/04/2010
Le poème de la semaine
Maurice Chappaz
Je voudrais que les baisers
remplacent les chants d'oiseaux.
Qu'ils pépient dès l'aube
sur tes joues, tes paupières.
Je voudrais que la nuit
remplace le jour,
que la prière
remplace le travail,
que le silence
remplace les paroles.
Je voudrais que l'éternité
remplace cette vie
ne serait-ce qu'un instant.
Quelques traces de craie dans le ciel,
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14/04/2010
Le poème de la semaine
Francis Jammes
J'aime l'âne si doux
marchant le long des houx.
Il prend garde aux abeilles
et bouge ses oreilles;
et il porte les pauvres
et des sacs remplis d'orge.
Il va, près des fossés,
d'un petit pas cassé.
Mon amie le croit bête
parce qu'il est poète.
Il réfléchit toujours.
Ses yeux sont en velours.
Jeune fille au doux coeur,
tu n'as pas sa douceur:
car il est devant Dieu
l'âne doux du ciel bleu.
Et il reste à l'étable,
fatigué, misérable,
ayant bien fatigué
ses pauvres petits pieds.
Il a fait son devoir
du matin jusqu'au soir.
Qu'as-tu fait jeune fille?
Tu as tiré l'aiguille...
Mais l'âne s'est blessé:
la mouche l'a piqué.
Il a tant travaillé
que ça vous fait pitié.
Qu'as-tu mangé petite?
- T'as mangé des cerises.
L'âne n'a pas eu d'orge,
car le maître est trop pauvre.
Il a sucé la corde,
puis a dormi dans l'ombre...
La corde de ton coeur
n'a pas cette douceur.
Il est l'âne si doux
marchant le long des houx.
J'ai le coeur ulcéré:
Ce mot-là te plairait.
Dis-moi donc, machérie,
si je pleure ou je ris?
Va trouver le vieil âne,
et dis-lui que mon âme
est sur les grands chemins,
comme lui le matin.
Demande-lui, chérie,
si je pleure ou je ris?
Je doute qu'il réponde:
Il marchera dans l'ombre,
crevé par la douceur,
sur le chemin en fleurs.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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07/04/2010
Le poème de la semaine
Philippe Jaccottet
Rose, soudain comme une rose
apparue à la saison froide.
Il n'y a pas de neige,
mais beaucoup d'eau vaillante dans les roches
et des violettes en plein sentier.
De l'eau verte à cause de l'herbe.
Rose, portière de l'année.
Comme la rose furtive à la joue,
la neige qui s'efface avant de toucher le sol,
bienfaisante.
Cette combe verte, sans fleurs et sans oiseaux,
suspendue,
cette espèce de terrasse verte,
au-dessus de laquelle passent les nuages rapides
surgis comme des troupeaux
du gouffre invisible et froid creusé derrière,
ces pâturages où il n'y a plus de bétail depuis longtemps.
Dans la lumière brillante
qui, à contre-jour, s'embrume,
cette sorte d'hamac d'herbe,
l'air vif dans les hauteurs et doux près du sol,
la bergerie d'ivoire usé comme une lampe
restée allumée en plein jour,
comme la lune, justement,
que l'on devine, le sein laiteux.
Allez encore vers ces lacs de montagne,
qui sont comme des prés changés en émeraudes.
Peut-être n'y boira-t-on plus,
peut-être est-ce pour cela qu'on les voit maintenant.
Il y a des émeraudes dans la montagne
comme on y croise des bêtes fuyantes.
Et le printemps est poussière lumineuse.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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30/03/2010
le poème de la semaine
Francis Carco
Je me souviens de la bohème,
De mes amours de ce temps-là!
O mes amours, j'ai trop de peine
Quand refleurissent les lilas...
Qu'est-ce que c'est que cette antienne?
Qu'est-ce que c'est que cet air-là?
O mes amours, j'ai trop de peine...
Le temps n'est plus de la bohème.
Au diable soient tous les lilas!
Il pleut dans le petit jour blême.
Il pleut, nous n'irons plus au bois.
Toutes les amours sont les mêmes,
Les morts ne ressuscitent pas.
Un vieil orgue, comme autrefois,
Moud, essouflé "La Marjolaine".
O mes amours de ce temps-là,
Jamais les mortes ne reviennent.
Elles dorment sous les lilas
Où les oiseaux chantent ma peine,
Sous les lilas qu'on a mis là...
Les jours s'en vont et les semaines:
O mes amours, priez pour moi...
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:25 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |